Gemellis
Un géant bicéphale créé par Sara Conti et raconté par Carl Norac.
Gemellis est un enfant géant à deux têtes : l’une surmontée, en guise de chevelure, d’une forêt, et l’autre d’une usine, comme deux faces de notre monde, la nature première qu’il faut sauver et l’industrialisation, la présence de l’homme qu’il faut préserver sans que celle-ci détruise la première.
Le géant Gemellis a été dessiné par l’artiste plasticienne Sara Conti, fabriqué par Dorian Demarcq de l’Atelier des Géants, et son histoire imaginée par l’auteur Carl Norac.
A propos de Gemellis, par Carl Norac
Gemellis est un enfant géant à deux têtes : l’une surmontée, en guise de chevelure, d’une forêt, et l’autre d’une usine, comme deux faces de notre monde, la nature première qu’il faut sauver et l’industrialisation, la présence de l’homme qu’il faut préserver sans que celle-ci détruise la première.
Son nom : Gemellis, comme gémellité, mais aussi pour dire : « Je me mêle de tout», un enfant espiègle et, comme on dit chez nous, un « mêle-tout ». Même géant et défilant parmi ses aînés, Gemellis reste un enfant, curieux de tout et de petits riens, aussi avec cette envie de vouloir changer le monde qui se perd parfois avec l’âge. Un seul corps, un seul et vrai cœur, mais deux têtes qui se disputent. Quand ils sont d’accord, ils parlent en nous, vont vers les gens ainsi, dans une même danse. Ce qu’ils préfèrent ? Récolter des souvenirs.
Géants, ils aiment pourtant se pencher pour vous écouter, en confidence. Lorsqu’ils défilent dans les rues, approchez-vous pour qu’ils se tournent vers vous, et essayez de dire un secret, une opinion : le secret sera gardé mais jamais oublié. Gemellis a de la mémoire pour deux.
Cependant, comme tous les êtres à deux têtes et comme beaucoup d’enfants, ces deux têtes se disputent souvent. Dans ce cas , chacun trône au bout de son cou et dit ses vérités à l’autre. Alors, il y a plutôt deux je, avec deux prénoms ou surnoms : d’un côté Nati, la tête à coiffure de forêt, qui prétend que la nature était plus belle sans l’homme et que sa destruction devient presque irréversible et Doxa (qui veut dire en français un ensemble de nos opinions) qui s’exprime beaucoup sur sa confiance en l’homme et le besoin d’une civilisation « en avant ». Vaste question essentielle pour nous, géants ou pas, défilant dans la rue ou pas, enfants ou adultes, d’ici ou d’ailleurs, au centre d’un thème brûlant : l’anthropocène.
Gemellis échappe en tout cas au genre, à l’espace et à un temps donné. Son rêve est d’être de partout et de se glisser entre les années, libre. Ni vraiment garçon ni fille (ou bien les deux à la fois), ni situable dans un lieu, ou dans une époque, Gemellis arrive comme s’il naissait devant nos yeux.
Mais alors, d’où vient Gemellis puisqu’il ne provient pas d’une famille et n’a pas de parents connus ? Là, deux légendes qui s’opposent. Chacun(e) peut choisir celle qu’il préfère, et surtout en inventer une autre. On dit que Gemmelis était au départ un papier posé sur un mur, une oeuvre d’art qui s’est mise à voyager sur les murs, à se rendre aux endroits où on débat du monde et même à produire des phrases. Un jour où on voulut l’arracher, elle se détacha, s’enroula si bien qu’elle prit la forme qu’on lui connaît et défile telle quelle dans les rues, au lieu d’être posée sur un mur, pour écouter nos vérités, nos confidences. Une autre légende dit qu’elle serait née d’une graine pas comme les autres, une graine d’idée, une idée qui aurait poussé vite. Et qu’il faut partager aujourd’hui et semer à chaque sortie.
En avant ! Gemellis se veut être géant toujours en devenir. C’est à l’intérieur de soi, géant ou pas, qu’il est bon de grandir. A partir de ces mots partagés, que chacune et chacun s’emparent de ce qui est plus qu’un personnage, bien plus qu’un pantin de pailles, de formes et de couleurs. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? », se demandait déjà Lamartime en s’interrogeant sur « la terre natale ». La réponse est oui.
La création de Gemellis, par Sara Conti
Gemellis a été créé par l’artiste plasticienne Sara Conti.
Les légendes de Gemellis, par Carl Norac
A ce jour, deux « légendes urbaines » existent pour expliquer d’où vient cet étrange enfant-géant. Avons-nous vraiment à choisir celle qui nous paraît la plus crédible ? Ce serait merveilleux que Gemellis en suscite beaucoup d’autres. Ce Gemellis, qui cherche toujours sa vérité, aime les histoires. Et sa vérité, elle-même, est multiple.
GEMELLIS OU LA LEGENDE DE L’ENFANCE DE L’ART.
Gemellis vivait sur un mur auprès de graffitis, pas simplement des collages de papier ou un tag : une image vivante capable d’observer les passants discrètement, ou bien de légèrement bouger les bras pour faire un signe ou bouger les deux têtes pour se parler entre elles. Œuvre d’art créée par un artiste, qui en secret l’avait dessinée et collée là, sans doute pas par hasard sur cette petite place de la ville ? Ainsi, oui, Gemellis bougeait légèrement et plus que sous l’effet du vent. Seuls parfois des enfants, aussi curieux que Gemellis, remarquaient un infime changement dans leur posture. Gemellis, se sentant libre, voulut faire plus et s’inventer des paroles. Il ne pouvait pas parler comme les passants, mais avait remarqué que lorsque les deux têtes pensaient très fort à une phrase, il pouvait arriver qu’elle s’écrive au-dessus d’eux, un peu comme un phylactère dans une bande dessinée. Quel magnifique pouvoir ! Encore fallait-il que les deux têtes, Nati et Doxa, se mettent d’accord sur une phrase, vu leurs différends. Quand cet étrange phénomène de phrase de mots de papier les prolongeant arrivait, Gemellis lui-même se demandait comment c’était possible. Leur théorie était que Nati, avec sa forêt sur la tête, la transformait en pinceau de feuilles ou de fibres et Doxa, avec son usine, ses nuages, fabriquait l’encre noire, un élément de la nature et un autre fabriqué par l’homme s’unissant pour réinventer l’écriture. Un jour, il y avait une manifestation pour ou contre des réfugiés d’un genre nouveau, des réfugiés climatiques, chassés de chez eux par ces nouveaux désordres d’une nature en réchauffement, qui détruisent parfois une île entière en une seule nuit, les habitants réduits à fuir, ayant tout perdu. Un hasard (ou une volonté de l’artiste ?) voulut que Gemellis soit collé sur le mur en face du lieu de la manifestation, cette place étant un rendez-vous fréquent de débats en cette ville. De toutes ses forces, Gemellis produisit alors une phrase qui ne se voulait pas polémique : « Comme moi, ayez un cœur assez géant pour y accueillir celui qui ne sait où aller ». Des gens applaudirent, Gemellis faillit rougir. Chacun se demandait qui avait collé ce slogan le matin même. Mais la nuit, un homme vint et Gemellis sentit d’instinct, à la seconde même, qu’il arrivait pour le détruire, le déchirer. C’est là que l’enfant-géant se rendit compte qu’il avait bien d’autres pouvoirs, nés des doigts de l’artiste qui les avaient créés ou bien de leur expérience dans la vraie vie de la rue. Au moment où l’agresseur tendit la main pour l’arracher, Gemellis arriva à s’enfuir, à glisser le long du mur, même au coin d’une rue au risque un moment de se couper en deux : non, ça passe. L’homme courut derrière lui, sur le trottoir, puis s’arrêta : il prit peur devant ce qu’il considéra comme de la sorcellerie.
A partir de ce jour-là, Gemellis prit l’habitude de voyager de mur en mur, la nuit, à l’abri des regards. Pas pour s’enfuir, pour s’amuser aussi.
Il paraît que s’il pouvait passer deux murs longs d’un coup, il produisait alors en toute logique un murmure (le seul son très rare qu’on lui connaît. )
Parfois, Gemellis ne se promenait pas par hasard, il venait donner un message aux passants, montrant des endroits où l’atteinte de la nature est présente : pollution, dépôts sauvages, habitat détruit, mur d’usine…. Gemellis se mit alors à écouter, à récolter aussi leurs paroles (Nati dit récolter et semer une parole, Doxa dit intérioriser et communiquer). Un géant de papier devenu citoyen du monde… Mais un jour où Gemellis était sur un mur ancien, celui-ci fut abattu (architecture urbaine galopante), l’engin intervint avec une telle brutalité, soudaineté et sur une telle largeur que Gemellis ne pouvait fuir simplement en glissant de brique en brique comme à son habitude. Le géant-enfant disparut. On le croyait détruit, d’autant qu’il pleuvait ce matin-là.
Sans doute noyé, déchiré, décoloré comme une pauvre affiche ! Des gens qui l’aimaient fouillèrent même les gravats en vain. Non, Gemellis découvrit qu’il pouvait à présent faire bien plus que passer de mur en mur, mais carrément en sortir et se plier, s’enrouler de si belle façon, de vivre en volume.
Et de devenir peu à peu un vrai enfant-géant arborant ses deux têtes.
Comment expliquer ce miracle ? Nati parle de la nature qui s’est toujours adaptée pour survivre, sauf aujourd’hui où l’homme a enclenché un processus de destruction massive que la nature ne peut suivre. Pour Doxa, tout au contraire, c’est le fait d’être, au départ, la peinture d’un humain qui fait la réflexion et de cette réflexion naîtra l’étrange mais explicable métamorphose.
Ainsi, cette usine sur sa tête, oui, elle pollue d’habitude, mais montre l’énergie tellement plus puissante quand l’homme l’a inventée. L’instinct de survie, la force de la nature d’une part, l’énergie et la réflexion humaine de l’autre, est-ce l’explication ? Faut-il à tout prix expliquer ce mystère ? Le fait est que composé de matières naturelles, Gemellis aujourd’hui défile dans les rues, pour de vrai. Ses phrases ne peuvent s’imprimer dans l’air, mais il n’en pense pas moins, il les transmet en vos pensées et vous demande de les écrire. Quelles sont les pensées de Gemellis aujourd’hui ? Sur différents sujets essentiels aujourd’hui ? Ce sont souvent les enfants qui les imaginent. Gemellis, en défilant, garde ses habitudes : mêle-tout, il va où on discute, aime les gens, les écoute, récolte les paroles.
Nati parle de partage (et rappelle que la science aujourd’hui a prouvé que les arbres, comme ceux que sa tête arbore, communiquent entre eux) et Doxa utilise un mot différent : l’interactivité. Si vous croisez Gemellis, n’hésitez pas à lui parler. Ce cœur géant est bien là sous son armature.
GEMELLIS FILS DE LA TERRE
Selon la deuxième légende, Gemellis serait né d’une idée, d’une graine d’idée qui au lieu de pousser en plante, en fleur serait devenue un enfant.
Le côté plante, c’est un peu ce tronc qui en s’étirant s’est prolongé, comme souvent chez les arbres, en deux têtes.
Tout le monde crut que Gemellis était tombé du ciel, avec son air de sortir d’un grand nuage. Certains affirment l’avoir vu avec des ailes sur des images très anciennes, mais lui ne se souvient pas du tout d’avoir volé.
Au contraire, graine d’idée, il vient du bas, de la terre. Lorsqu’on lui parle de cette légende sur son origine, Gemellis semble touché, comme si cela ravivait des souvenirs. On imagine d’abord que le sommet de la tête est sorti de terre, une toute petite forêt comme des cheveux dressés hors de l’humus, puis tout près une usine miniature comme pour humaniser un paysage si familier en beaucoup d’endroits sur la planète, et en particulier où nous sommes. Puis les visages sortent ( Gemellis a poussé vite, géant oblige !), surtout d’un coup, voici les yeux ouverts aussitôt sur le monde, mais d’abord sur ce qui affleure sur la terre, plantes, insectes, puis voici le nez pour percevoir les odeurs, puis la bouche pour respirer, prendre l’air. Doucement, le corps sortit, l’œuf fragile et intact au bout des doigts. Gemellis garde ce rêve de grandir, de voir le monde de plus haut : c’est pourquoi, aujourd’hui, il aime sortir dans la rue sur les épaules d’un homme. Et c’est un géant qui ne veut pas cacher l’homme qui le porte : ce qui pousse hors de la terre n’a pas vocation de cacher quoi que ce soit, mais d’être au monde tout simplement.
Cette légende, vraie ou pas, mais que Gemellis aime, suppose qu’il comprend ce qui se passe sur cette terre mais aussi dans cette terre, ce que pense la terre, si elle souffre, comment les graines, ses lointaines cousines, se portent. Cette histoire nous relie particulièrement à l’anthropocène, qui est avant tout une notion de géologie. Gemellis, qui se mêle de tout, attrape les idées : il ne faut pas hésiter à lui en dire. C’est un peu comme sa nourriture. Son don, son vœu, pareil pour les deux têtes, le sens de leur chemin est de faire pousser les idées. Cette légende paraît si réelle : il faut préciser qu’elle colle à l’étymologie du mot géant lui-même qui vient de Gigantes signifiant « nés de la terre ».
Les sorties de Gemellis
Les sorties au passé :
- mai 2018, à Ath, « Festival Sortilèges, rue et vous » ;
- septembre 2018, à Colfontaine, « Loup y es-tu », Centre Culturel de Colfontaine ;
- juillet 2019, à Mons, à l’occasion des 100 ans de Culture en Hainaut ;
- septembre 2021, à Mons (Mars), sur scène pour le spectacle Etat du Monde #1, de Valérie Cordy ;
- septembre 2022, à Tournai, à l »occasion de « Géants et Minuscules », organisé par la Maison de la Marionnette.
Les sorties à venir :
Et l’oeuf, dans tout ça ? par Carl Norac
L’œuf que Gemellis tient en main est un mystère absolu. En défilant, Gemellis s’amuse beaucoup ; derrière son air sérieux, il virevolte parfois, mais attention : pas de bêtises par rapport à l’œuf, et pas touche ! Jamais, malgré ses voyages, l’enfant géant ne l’a cassé.
Plusieurs petits fragments de légendes expliquent aussi son origine :
Ce serait un œuf datant d’avant l’anthropocène, « l’œuf du monde » : il contient une idée qui pourrait changer le monde, mais qu’on ne pourra découvrir que le jour où le monde abîmé par l’homme sera sur le point de disparaître.
En attendant, comme il est important de garder cet œuf de la dernière chance et espérer ne jamais avoir à l’ouvrir !
L’on échafaude aussi d’autres histoires bizarres :
– La version pessimiste : à l’intérieur, un papier, la date de la fin du monde, à la seconde près. Avec cette mention : « Merci, les hommes ! ».
– C’est ce qu’on appelle un œuf-miroir. L’intérieur est comme ça, en écaille de miroir. « Cet œuf, tu le casses, tu te vois, tes défauts, tu te casses ».
– Il y a dedans un dragon bien sûr, et ça fait longtemps qu’il attend. Un vrai, un terrible, pas du genre lumeçon. Il ne faut pas qu’un jour, le géant tombe et casse l’oeuf. Passants, protégez-le !
En tout cas, tout le monde est d’accord pour dire qu’il renferme un secret et pas un simple petit volatile !
Dans la presse
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